Les maladies transmissibles sont des enjeux de santé publique et non de droit pénal : les leçons tirées de la riposte au VIH
Les mesures qui respectent les droits humains et l’habilitation des communautés sont plus efficaces que les sanctions et l’emprisonnement.
Alors que le monde est confronté à une nouvelle pandémie mondiale, les législateurs et les décideurs politiques prennent des mesures drastiques pour tenter de minimiser la propagation du SRAS-CoV-2, le virus responsable du COVID-19. La situation évolue rapidement. Les restrictions de nos libertés sont sans précédent.
Nous rappelons aux législateurs et aux décideurs politiques que toutes restrictions aux droits humains dans ce contexte doivent satisfaire les cinq critères des principes de Syracuse. Elles doivent aussi être limitées dans la temps, sujettes à révision et offrir une possibilité de recours. Ces principes sont les suivants :
- Toute restriction doit être prévue par la loi et exécutée conformément à la loi;
- Toute restriction est dans l’intérêt d’un objectif légitime d’intérêt général
- Toute restriction est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre l’objectif visé;
- Il n’y pas d’autres moyens moins intrusifs et restrictifs pour atteindre le même objectif;
- Toute restriction repose sur des données scientifiques et n’est pas rédigée ou imposée arbitrairement, c’est à dire de façon déraisonnable ou autrement discriminatoire
Nous mettons en garde les législateurs et les décideurs politiques contre la tentation d’utiliser le droit pénal ou d’autres mesures répressives injustifiées et disproportionnées liées au COVID-19. Ces mesures sont susceptibles d’avoir des conséquences désastreuses sur les plus vulnérables de la société, notamment les sans-abris et/ou les personnes vivant dans la pauvreté, ainsi que sur les individus issus de communautés marginalisées et déjà stigmatisées ou criminalisées – surtout lorsqu’aucun soutien économique et social n’est disponible pour permettre aux personnes de se protéger et de protéger les autres, y compris en s’isolant.
En tant que coalition mondiale faisant campagne pour l’abolition des lois, des politiques et des pratiques pénales et similaires qui réglementent, contrôlent et punissent les personnes vivant avec le VIH sur la base de leur séropositivité, nous connaissons bien les conséquences néfastes de la criminalisation des maladies tant sur les droits de l’homme que sur la santé publique.
La pénalisation a un impact disproportionné sur les personnes et les communautés les plus marginalisées, stigmatisées et déjà criminalisées dans la société.
La pénalisation n’est pas une réponse aux problèmes de santé publique. Le plus souvent, le recours au droit pénal nuit à la santé publique en créant des obstacles à la prévention, au dépistage, aux soins et aux traitements. Par exemple, les personnes peuvent ne pas révéler leur statut ou accéder à un traitement de peur d’être criminalisées. Elle peut également conduire à des « procès » médiatiques et sur les réseaux sociaux nourris par la peur et les préjugés, et à une myriade de violations des droits humains, allant des arrestations et détentions arbitraires aux procès inéquitables (ou à l’absence totale de procès dans le cadre des nouvelles mesures d’urgence) ainsi qu’à de lourdes peines de prison. Cela peut également conduire à la propagation d’infections et de maladies transmissibles en prison, une considération particulièrement importante dans le contexte du COVID-19, qui révèle, une fois de plus, la nécessité de lutter contre la surpopulation en milieu carcéral et d’améliorer les conditions sanitaires, trop souvent mauvaises, dans les prisons et autres milieux fermés.
Notre expérience nous a appris que lorsque les lois sont rédigées à la hâte et que le recours au droit pénal s’inscrit dans un contexte de peur et de panique, il est peu probable qu’ils soient guidés par les données scientifiques et médicales les plus fiables (surtout lorsque la recherche est encore inaboutie, ne fait pas l’objet de consensus, qu’elle est complexe et évolutive). Dans le cas d’un virus qui se transmet facilement par simple contact et pour lequel il serait difficile voire impossible de prouver une exposition ou sa transmission, il y a un risque que les principes d’équité juridique et judiciaire, notamment les principes clés du droit pénal que sont la légalité, la prévisibilité, l’intention, la causalité, la proportionnalité et la preuve, ne soient pas respectés.
Il y a un risque que les droits de humains des personnes poursuivies en relation au COVID-19 ne soient pas respectés
Nous appelons par conséquent les législateurs et les décideurs politiques, les médias et le reste de la population à maintenir les droits humains au premier plan lors de notre réponse collective à cette nouvelle crise de santé publique dans un climat de peur et d’incertitude.
Il est plus que jamais essentiel de s’engager à respecter les droits humains et leurs principes ; de fonder les mesures de santé publique sur les données scientifiques ; de garantir liens de confiance et coopération entre le législateur, les décideurs politiques et la population.
Le COMITÉ DIRECTEUR DE HIV JUSTICE WORLDWIDE, comprenant: AIDS Action Europe; AIDS and Rights Alliance for Southern Africa (ARASA); Réseau juridique VIH; Global Network of People Living with HIV (GNP+); HIV Justice Network; International Community of Women Living with HIV (ICW); Positive Women’s Network – USA; Sero Project; et Southern Africa Litigation Centre.
Références complémentaires
La semaine dernière, un groupe d’experts des droits humains aux Nations Unies a mis en garde les gouvernements contre les abus des mesures d’urgence qui viseraient à supprimer les droits de l’homme :
« Tout en reconnaissant la gravité de la crise sanitaire actuelle et tout en admettant que l’utilisation de pouvoirs d’urgence est autorisée par le droit international en réponse à des menaces importantes, nous rappelons d’urgence aux États que toute mesure d’urgence contre le coronavirus doit être proportionnée, nécessaire et non discriminatoire », ont déclaré les experts. « Les restrictions doivent être adaptées et être le moyen le moins intrusif possible pour protéger la santé publique ». De plus, les autorités doivent chercher à rétablir la vie normale et éviter de recourir de manière excessive aux pouvoirs d’urgence pour réglementer indéfiniment la vie quotidienne ».
La semaine dernière, l’ONUSIDA a également publié ses conseils, comprenant un certain nombre de recommandations, notamment celle aux Etats « d’éviter le recours au droit pénal au moment où les Etats encouragent les comportements visant à ralentir la propagation de l’épidémie », en notant que donner aux personnes et à la population les moyens de se protéger et de protéger les autres aura un effet global plus important.
Et, comme le décrit une récente lettre ouverte, signée par plus de 800 experts de la santé publique et du droit aux États-Unis offrant des recommandations aux responsables gouvernementaux : « Les mesures volontaires d’isolement [combinées à l’éducation, au dépistage généralisé et à l’accès universel au traitement] sont plus susceptibles d’inciter à la coopération et de protéger la confiance du public que les mesures coercitives. Elles sont aussi plus susceptibles d’empêcher que certaines personnes évitent les système de santé ».