Q: Qu’est ce que la déclaration de consensus d’experts
La déclaration du consensus d’experts sur la connaissance scientifique relative au VIH dans le contexte du droit pénal (la déclaration de consensus d’experts) a été rédigée par 20 des plus grands experts scientifiques spécialistes du VIH, afin de présenter les données actuelles sur la transmission du VIH, sur l’efficacité du traitement et les preuves phylogénétiques médico-légales, de manière à ce que les données scientifiques liées au VIH soient mieux comprises dans le contexte du droit pénal. Elle a été publiée pour la première fois le 25 juillet 2018 dans le Journal of the International AIDS Society (JIAS), un journal scientifique soumis à l’examen des pairs
Q: Qui a écrit la déclaration de consensus d’experts?
La déclaration du consensus d’experts a été rédigée par 20 des plus grands experts scientifiques du monde entier: Françoise Barré-Sinoussi (France), Salim S. Abdool Karim (Afrique du Sud), Jan Albert (Suède), Linda-Gail Bekker (Afrique du Sud), Chris Beyrer (Etats-Unis), Pedro Cahn (Argentine), Alexandra Calmy (Suisse), Beatriz Grinsztejn (Brésil), Peter Godfrey-Faussett (Royaume-Uni), Andrew Grulich (Australie), Adeeba Kamarulzaman (Malaysie), Nagalingeswaran Kumarasamy (Inde), Mona Rafik Loutfy (Canada), Kamal Marhoum El Filali (Maroc), Souleymane Mboup (Sénégal), Julio S.G Montaner (Canada), Paula Munderi (Ouganda), Vadim Pokrovsky (Fédération Russe), Anne-Mieke Vandamme (Belgique), et Benjamin Young (Etats-Unis).
Plus de 70 autres experts scientifiques venant de 46 pays différents ont également signé a déclaration de consensus d’experts avant qu’elle ne soit rendue publique.
Q: Pourquoi les auteurs ont-ils élaboré la déclaration de consensus d’experts?
La déclaration de consensus d’experts a été élaborée pour aider les experts scientifiques et juridiques impliqués dans un dossier criminel, et pour encourager les gouvernements et les acteurs de la justice à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir que l’application de la loi, dans des cas liés au VIH, soit fondée sur une compréhension exacte et complète des données scientifiques probantes actuelles.
Les auteurs ont été motivés par les inquiétudes soulevées par la société civile qui dénonçait une application du droit pénal en contradiction avec les données probantes médicales et scientifiques contemporaines, et notamment d’une manière exagérant à la fois le risque de transmission du VIH et l’impact du VIH sur la santé et le bien-être. . Les personnes vivant avec le VIH continuent d’être poursuivies et ce même dans des cas où il n’y a aucune intention de causer un préjudice; où la transmission est impossible ou extrêmement improbable ; et où la transmission n’est ni alléguée ni prouvée. Ce phénomène est généralement connu sous le nom de criminalisation du VIH (Voir Qu’est ce que la criminalisation ? ci-dessous)
Q: Comment les scientifiques ont-ils préparé la déclaration de consensus d’experts?
Les scientifiques ont entrepris une analyse détaillée de toutes les données scientifiques disponibles sur la transmission du VIH, l’efficacité du traitement et les preuves phylogénétiques médico-légales. Ils ont privilégié les résultats des recherches de grande qualité provenant de revues systématiques d’essais cliniques randomisés et d’études comparatives (par exemple études de cohorte, études cas-témoins, et études historiques de contrôle). Ils ont ensuite participé à plusieurs cycles de discussion pour parvenir à un accord sur la meilleure façon de résumer et de présenter les données probantes.
Q: Qui soutient la déclaration de consensus d’experts?
Il faut noter que la déclaration de consensus d’experts a été officiellement approuvée par l’International AIDS Society (IAS), l’International Association of Providers of AIDS Care (IAPAC) et le Programme Commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) qui ont également soutenu son développement. En tant que représentant de la société civile, le comité directeur de HIV JUSTICE WORLDWIDE a été consulté lors du processus de développement de la déclaration de consensus d’experts. HIV JUSTICE WORLDWIDE se réjouit de cette déclaration et la soutient.
Q: Quels sont les actes spécifiques considérés par la déclaration de consensus d’experts ?
La déclaration de consensus porte sur la possibilité de transmission du VIH associée à des actes spécifiques généralement en cause dans les poursuites criminelles : morsure ou crachement et rapports sexuels. Elle ne porte pas sur les autres voies possibles de transmission telles que les transfusions de sang, les piqures d’aiguille, l’injection de drogues ou l’allaitement maternel. Sauf rares exceptions, ces actes n’ont pas fait l’objet de poursuites criminelles contre les personnes vivant avec le VIH.
Q: Quelles sont les principales conclusions de la déclaration de consensus d’experts?
Il est préférable de lire la déclaration de consensus d’experts dans sa totalité pour comprendre ses conclusions dans leurs contextes. Cependant, en se fondant sur l’examen systématique des données scientifiques disponibles, les conclusions clefs des auteurs sont les suivantes:
- La possibilité de transmission du VIH associée à un rapport sexuel vaginal ou anal varie de faible à nulle (voir plus bas les importants facteurs ayant une incidence sur la possibilité de transmission).
- La possibilité de transmission du VIH associée à un rapport sexuel oral varie de négligeable (dans des circonstances extrêmes et très inhabituelles) à nulle (voir plus bas d’importants facteurs ayant une incidence sur la possibilité de transmission).
- Il n’y a aucune possibilité de transmission associée à un rapport sexuel vaginal, anal ou oral quand un préservatif intact a été utilisé correctement.
- Il n’y a aucune possibilité de transmission associée à un rapport sexuel vaginal, anal ou oral lorsque le partenaire séropositif a une charge virale indétectable.
- La possibilité de transmission du VIH associée à un rapport sexuel vaginal ou anal varie de négligeable à nulle lorsque le partenaire séropositif a une charge virale faible.
- Il n’y a aucune possibilité de transmission du VIH par contact avec la salive même si celle-ci contient un peu de sang.
- La possibilité de transmission du VIH en cas de morsure varie de négligeable (dans des circonstances extrêmes et très inhabituelles) à nulle.
- Les thérapies antirétrovirales modernes ont augmenté l’espérance de vie de la plupart des personnes vivant avec le VIH ayant accès aux traitements au point qu’elle est désormais similaire à celle des personnes séronégatives, transformant ainsi l’infection au VIH en maladie chronique gérable.
- L’analyse phylogénétique seule ne peut pas prouver qu’un accusé a transmis le VIH au plaignant. Cependant, il faut noter que l’analyse phylogénétique peut disculper un accusé lorsque les résultats excluent la possibilité que le défendeur soit à la source de l’infection du plaignant.
Q: La déclaration de consensus d’experts a-t-elle été conçue pour faciliter le développement des ressources éducatives et de stratégies de santé publique?
Non, la déclaration de consensus d’experts n’est pas un document de santé publique visant à informer les messages ou les programmes de prévention ou de traitement du VIH. Son approche est fondée sur l’évaluation des risques de transmission au niveau individuel, lors d’un acte unique et spécifique, de façon à être pertinente dans le cadre de la justice pénale. A l’inverse, les ressources éducatives et les messages de santé publique ont tendance à s’appuyer sur une description des risques au niveau de la population, et décrivent généralement les risques associés aux actes sexuels comme allant de “aucun risque”, au “risque faible” et au “risque élevé”. Ces catégories décrivent le risque relatif associé à certains actes (et non pas le risque absolu), et peuvent être utiles pour communiquer des messages simples et clé visant à expliquer que certains actes sexuels posent un risque plus élevé de transmission que d’autres. (Par exemple, les rapports sexuels vaginaux ou anaux sans préservatif posent un risque de transmission plus élevé que les rapports sexuels sans préservatif ou les rapports sexuels oraux). Présenter les informations de cette manière permet aux individus de prendre les mesures de leur choix pour réduire les risques de transmission ou d’infection du VIH (par exemple en pratiquant des rapports sexuels à moindre risques). Cependant, ces catégories de santé publique ont souvent été mal employées dans le contexte pénal pour lequel elles ne sont pas adaptées. La déclaration de consensus d’experts a pour objectif d’aider les experts scientifiques appelés à témoigner dans des affaires pénales et pour aider les législateurs à prévenir une mauvaise application du droit pénal. Par conséquent, la déclaration examine la possibilité de transmission du VIH associée à un acte unique et spécifique, située sur un continuum de risques, sachant que cette possibilité dépend d’une série de facteurs croisés, comme la charge virale, l’utilisation d’un préservatif, et autres pratiques de réduction des risques.
Etant donné son objectif spécifique qui est d’évaluer la possibilité de transmission associée à un acte spécifique dans le but d’informer le système de justice pénale, la déclaration de consensus d’experts utilise une autre terminologie que celle employée dans le domaine de la santé publique, dont les objectifs sont différents et qui ne devrait pas être utilisée dans le contexte du droit pénal.
Q: Que signifie la déclaration de consensus d’experts dans le cadre des efforts déployés pour mettre fin à la criminalisation du VIH
La déclaration de consensus d’experts a été élaborée pour aider les personnes travaillant dans, et avec, le système de justice pénale, à comprendre les données scientifiques actuelles sur la transmission du VIH, sur l’efficacité du traitement et les preuves phylogénétiques médico-légales. La déclaration a été élaborée parce que les auteurs s’inquiétaient que les poursuites contre les personnes vivant avec le VIH soient en partie motivées par une mauvaise appréciation des données scientifiques liées au VIH. La déclaration de consensus d’experts confirme que les données scientifiques actuelles sur le VIH ne permettent pas de justifier de cibler les personnes vivant avec le VIH par le biais de poursuites pénales et de sanctions sévères.
Les considérations d’ordre scientifiques rejoignent d’autres bonnes raisons de mettre fin à la criminalisation du VIH et notamment des considérations relatives à la santé publique, aux droits humains et au respect des principes du droit qui doivent informer le droit pénal.
En tant que déclaration faisant autorité, fondée sur une revue détaillée des données scientifiques et adoptée par IAS, IAPAC et l’ONUSIDA, la déclaration de consensus d’experts sera un outil utile pour les intervenants désirant éduquer la communauté, les législateurs et les acteurs judiciaires (tels que les juges, les procureurs, les avocats et autres personnes) sur les données scientifiques liées au VIH.
Q: Qu’est ce que la criminalisation du VIH?
La criminalisation du VIH décrit l’application injuste du droit pénal contre les personnes vivant avec le VIH sur la seule base de leur statut sérologique. Ceci comprend l’application de dispositions pénales spécifiques ou l’application du droit pénal général pour poursuivre des personnes vivant avec le VIH pour transmission involontaire du VIH, exposition perçue ou éventuelle au VIH et/ou non-divulgation du VIH par une personne qui connaît son statut.
La criminalisation du VIH est un phénomène mondial croissant qui nuit à la santé publique et aux droits humains, affaiblissant ainsi la riposte au VIH.
Q: Quelle est l’étendue de la criminalisation du VIH?
En juillet 2018, 73 pays avaient adopté des lois permettant expressément la criminalisation du VIH et 39 autres pays ont utilisé le cadre général du droit pénal pour poursuivre les personnes vivant avec le VIH pour non-divulgation du VIH, exposition perçue ou éventuelle au VIH et/ou transmission involontaire du VIH.
Au cours des 30 derniers mois, des centaines de cas ont été signalés dans au moins 51 pays.
Dans les cinq pays où le plus grand nombre de cas ont été signalés (les Etats-Unis, le Belarus, la Russie, l’Ukraine et le Canada), 600 personnes au moins ont été arrêtées, poursuivies en et/ou emprisonnées depuis octobre 2015. Des milliers ont été poursuivies depuis le milieu des années 80, et de nombreuses personnes continuent de languir en prison et/ou sont inscrites au registre des délinquants sexuels, même dans des affaires où il n’y a pas eu de transmission et/ou que celle-ci n’était même pas possible.
Q: Comment la criminalisation du VIH entrave-t-elle la riposte au VIH?
La criminalisation du VIH entrave les objectifs de santé publique de multiples manières. Les poursuites, et l’attraction médiatique qui s’ensuit, isole et dramatise le VIH de façon fortement stigmatisante, en présentant le diagnostic de VIH comme une catastrophe et les personnes séropositives comme une menace inhérente pour la société.
Suggérer des poursuites pénales comme une première réponse ou une réponse adaptée en cas d’exposition perçue ou éventuelle au VIH n’est pas une approche appropriée. Ce type de stigmatisation rend encore plus difficile la divulgation du VIH aux partenaires intimes.
Certaines données probantes suggèrent que la criminalisation du VIH pourrait dissuader les individus à faire le test de dépistage, particulièrement parmi les communautés les plus vulnérables à l’infection au VIH.
Encourager le dépistage du VIH est un élément essentiel pour une riposte efficace: un diagnostic positif est la première étape vers l’accès au traitement antirétroviral bénéfique à la santé, et un résultat négatif, la première étape vers l’accès à la prophylaxie pré-exposition, deux outils essentiels de la prévention du VIH. La criminalisation du VIH peut également nuire à la relation thérapeutique entre une personne vivant avec le VIH et le personnel de santé, et ainsi réduire la capacité des soignants à offrir un soutien et des conseils francs sur les stratégies de réduction des risques. En effet, certains prestataires de santé ont été obligés de témoigner devant les tribunaux au sujet de leurs échanges avec leurs patients. Ces éléments ont ensuite été utilisés pour poursuivre les patients. La criminalisation du VIH porte également atteinte à la recherche dans les domaines de la prévention, du traitement et des soins du VIH en raison de la crainte des chercheurs et des participants de voir des données normalement tenues confidentielles saisies par les forces de l’ordre et utilisées dans une affaire criminelle.
Q: Comment la criminalisation du VIH nuit-elle aux droits humains?
La criminalisation du VIH porte atteinte aux droits des personnes vivant avec le VIH, dont beaucoup appartiennent aussi à des communautés marginalisées ou criminalisées.
Certains partenaires sexuels actuels ou passés utilisent la menace de porter plainte à la police comme une mesure d’abus ou de représailles contre leur partenaire séropositif.
La criminalisation du VIH expose les personnes vivant avec le VIH – et plus particulièrement les femmes (mais pas uniquement) – à des risques accrus de violence et de maltraitance et ignore le fait que certaines personnes ne sont pas en mesure de divulguer leur statut sans danger ou de demander à leur partenaire d’utiliser un préservatif.
Les déclarations stigmatisantes des forces de l’ordre ou des agences de santé publique, et la couverture médiatique, y compris la publication des noms complets et de photos de personnes poursuivies– même s’il ne s’agit que d’allégations – peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les personnes vivant avec le VIH dont le statut sérologique est ainsi révélé publiquement et qui sont présentés comme des criminels. De telles révélations peuvent entrainer une perte d’emploi, de logement, l’ostracisme social ou même à la violence physique.
Les enquêtes et les poursuites ont souvent un impact disproportionné sur les minorités raciales et sexuelles, les migrants et les femmes. Les accusés disposant de peu de ressources n’ont pas forcément accès à une représentation juridique adéquate. Dans certains cas, les infractions les plus graves du droit pénal d’un pays (par exemple voies de fait graves, agression sexuelle et tentative de meurtre) sont utilisées pour poursuivre la non-divulgation du VIH alléguée avant des relations sexuelles consensuelles.
Les sanctions sont souvent disproportionnées par rapport au préjudice causé, comme de longues peines d’emprisonnement et / ou l’enregistrement en tant que délinquant sexuel. Les personnes qui n’ont pas la nationalité de leur pays de résidence risquent aussi d’être expulsées s’ils sont reconnus coupable, ce qui peut signifier, pour certains, la fin de leur traitement ou et de l’accès aux soins.